Angela Baciu – Poèmes

 

 

*J‘ai trouvé des choses oubliées dans les tiroirs, des bijoux et des accessoires achetés

et des vêtements non portés les étiquètes dessus, j’ai commencé à jeter ce que je ne voulais pas

ces choses inutiles dont personne n’a besoin : des boutons éraillés

des bracelets cassés des polos taille M (ne riez pas, je portais aussi la taille M)

des chaussettes non appariées (en fait, où sont leurs paires ?!)

des boîtes de médicaments périmés un dé à coudre troué des couteaux sans manches

une pile de sachets (vous avez vous aussi des sachets dans vos tiroirs de cuisine

que faites-vous avec eux ? j’écrirai plus tard à ce sujet) des ampoules grillées – pourquoi

je ne les ai pas jetées ? – toutes sortes de notes une agrafeuse cassée une bouteille

vide Carmel – brandy 777 de chez émil roses et des feuilles de frésia séchées des tablettes

d’antalgique un miroir de poche (je parle à nouveau de miroirs) et, bien sûr,

la liste est longue. je n’avais aucune idée que tant de choses pouvaient être réunies

dans une seule maison. combien d’espace reste-t-il ? cela me rappelle cette blague

la blague amusante sur le Juif et le Rabbin, vous la connaissez ? bien sûr que oui !

 

 

*l‘autre jour j’ai commencé à tricoter l’écharpe de Tibère entamée

il y a deux ans. je voulais que ce soit son cadeau de Noël, mais il y a eu toujours autre chose

ajouté à quelque chose d’autre et je l’ai oubliée dans un panier où est écrit home je n’ai pas oublié

le tricot j’ai de vieilles aiguilles de ma grand-mère, la première étape est d’assembler

les mailles n’oublie pas de choisir avec soin l’épaisseur des aiguilles et des fils

ensuite, tu choisis la méthode que tu préfères : des points classiques à l’endroit à l’envers comme pour des chaussettes et ainsi de suite pour finir tu dois prendre les deux premiers brins

puis tu passes la deuxième maille sur la troisième et répètes le mouvement.

Je ne sais pas si je l’ai bien expliqué mais ce n’est pas difficile quand je faisais l’aller-retour

 en bus j’avais continué à tricoter, heureusement ça ne s’oublie pas,  c’est comme le  vélo.

(même si je ne peux pas m’en vanter je ne fais du vélo que sur une tricycle )

 

 

*ciel rouge. l’homme à la moustache et à la casquette noire porte dans une sorte de

brouette des boîtes sur lesquelles est écrit butter cookies. le vieux train entre en gare

il est vert à cause des vapeurs et on n’aperçoit pas la femme avec le chapeau et les gants blancs

elle serre son fils dans ses bras. c’est un train ça ? demande le garçon d’un air surpris. Anna

Karénine sourit. je lis inscrit sur la paroi du train le numéro 61333, les gens se pressent pour monter.

le comte Vronsky n’est pas encore arrivé. non, ce n’est pas un souvenir. c’est l’image

inscrite sur la boîte de biscuits que j’ai reçue. Anna ne mourra pas aujourd’hui.

pas Anna.

 

 

* siège 15, voiture 2. il est africain. il a des cheveux longs bouclés et me demande si

je parle sa langue. je marmonne quelque chose je n’ai pas envie de lui faire la conversation. il dit qu’il

n’est jamais allé en egypte. je souris. en quoi ça me concerne ? comment ça non,

tu n’es pas égyptienne ? non.

il a l’air déçu. il sort une carte de son sac à dos et me tourne le dos. pas

avant de nouer une paire de lacets autour de son poignet gauche.

ça me porte chance, dit-il.

 

 

* sais-tu la couleur du ciel aujourd’hui ? je ne peux pas le voir je ne peux pas lui parler ni distinguer

son visage hier soir aux infos, ils ont parlé de tornades et de vent.

peut-être que nous avons besoin de joindre nos mains de temps en temps en

prière jeudi tu m’as dit que tu t’étais confessé le printemps peut arriver maintenant

et toi, enkidu, commence à chasser les lions !

 

 

*Je regarde dans ma boîte aux lettres, deux factures, un avis de passage

pour la lecture du compteur d’eau une publicité pour une crème pour les mains un flyer avec

des services funéraires… complets. et un livre de Pasternak. c’est une plaisanterie, je pense.

je suis dans le hall de l’immeuble, devant les boîtes aux lettres en tôle et je

pense que c’est merveilleux que t’as commencé « Le Lieutenant Schmidt ».

Bien sûr, vas ’y en Gruzia, ça guérira ta dépression. « Madame ! Avez-vous entendu que

l’eau sera coupée aujourd’hui, non ? Ils font des travaux au sous-sol. » La perceuse du voisin

à 3 heures du matin est à nouveau en route, signe que même le samedi, les gens veulent casser des choses

je retourne la carte postale, au dos il est juste écrit : pasternak, les meilleures

lentilles de contact.

 

 

*Il dit qu’il a changé Dieu, je veux dire qu’il l’a sorti de la maison et l’a caché.

puis il a laissé la porte ouverte, la femme de ménage ramasse les mégots. laisse-les

où ils sont, ça Lui appartiennent.

 

 

*Je vais te raconter l’histoire : j’ai reçu un bracelet, tu sais, avec cet œil bleu magique

qui te porte chance et t’empêche de tomber malade. il était beau, je le portais

à côté de ma montre et je n’arrêtais pas de penser à mon rêve de la nuit dernière. Il paraissait que j’avais

un talisman rouillé avec une carte du monde que l’Africain m’avait donné et sur lequel j’ai continué à gribouiller

avec un crayon. ici, ici, et ici. je me suis embrouillé avec le dé à coudre que j’ai trouvé dans le tiroir, je crois…

je t’ai dit que je l’ai hérite de ma mère, mais sache que c’était un joli dé à coudre, en argent,

il était comme neuf.

Et dans le tiroir de mon rêve, il y avait aussi un sou avec un trou, je pouvais voir à travers

la carte de l’ancien monde. au plafond le soleil une mouette aux ailes repliées

Angela Baciu© Poèmes choisis du recueil Spiegel scrie peste tot [Spiegel écrit partout]

 

 

Angela BACIU – est une auteure, journaliste et formatrice roumaine, membre de l’Union des écrivains et du Pen Club de Roumanie. Elle a publié plus d’une vingtaine de livres dont : Maci în noiembrie (1997), Trei zile din acel septembrie (2003), Tinereţe cu o singură ieşire (2004), De mîine pînă mai ieri alaltăieri (2007), Mărturii dintre milenii (2012), Despre cum nu am ratat o literatură grozavă (2015), 4 zile cu nora (2015), Mai drăguț decît dostoievski (2017)- livre coécrit avec Nora Iuga,  Hotel Camberi (2017),  Charli. Rue Sainte – Catherine 34 (2017). “Mic dejun la Frida” (2020).

Elle est l’auteure d’une pièce de théâtre Mai drăguț decît dostoievski (2018, Editura Polirom), adaptation du poème dramatique homonyme de Nora Iuga et Angela Baciu, donné dans le cadre du Festival international de théâtre indépendant “Undercloud” 2018, Bucarest.

Elle est la lauréate de plusieurs prix :

  • 2008,  Le prix de l’Union des écrivains de Roumanie, Filiale de Iasi pour essai et journalisme pour le volume „Mărturii dintre milenii”
  • 2014 – Le titre de Poète de la ville de Iasi, décerné par la Mairie de la ville de Iași.
  • 2015 – Le prix de journalisme au Concours littéraire de création littéraire “Vasile Voiculescu” (Buzău).
  • 2016 – Grand Prix du Festival international de littérature „Lucian Blaga” ( à Sebeş‑Lancrăm)
  • 2016, septembrie –  le Prix BALCANICA  de poésie roumaine au „Festival des poètes des Balkans , Xe éd., Roumanie‑Turquie.
  • 2017 – Premier prix au Concours national de poésie “Lidia Vianu Translates”  qui a abouti à la publication du volume de poésies “Charli. Rue Sainte-Catherine 34”, édition roomaino-anglaise.
  • 2018, noiembrie – Le prix de l’Union des écrivains de Roumanie, Filiale de Iasi „Prix pour la qualité de son oeuvre et de son activité d’écrivaine”
  • 2019, 18 mai – Titre de „Poet al Capitalei Istorice a României offert par la Mairie de la ville de Iași

Elle a publié des interviews avec des personalités comme Laurenţiu Ulici, Radu G. Ţeposu, Eugen Simion, Mircea Sântimbreanu, Mircea Zaciu, Cornel Regman, Mircea Horia Simionescu, Nora Iuga, Ana Blandiana, Nicolae Breban, Barbu Cioculescu, Alexandru George, Cezar Ivănescu,  Emil Manu, Nina Cassian, Fănuş Neagu, Leo Butnaru, Adrian Alui Gheorghe, Liviu Ioan Stoiciu, Constantin Abăluţă et autres.

Depuis une dizaine d’années elle participe à des actions humanitaires et sociales en faveur des personnes âgées, des enfants ou des personnes handicapées.

(Traduction du roumain, Dan Burcea)

 

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