Interview. Elisa Sebbel : « Le plus important dans la vie pour moi est l’amour et l’amitié »

 

 

Nous avions laissé Héloïse, l’héroïne du roman La prisonnière de la mer d’Elisa Sebbel, devant un choix difficile qui l’avait poussée à suivre son sort aux côtés de Louis et quitter l’enfer de Cabrera. L’aventure incroyable de cette vivandière de l’armée napoléonienne continue dans un second roman, Héloïse – Les Fleurs du sérail, qui paraît aux Éditions Jeanne et Juliette.

– Nous retrouvons Héloïse dans votre second roman en train de vivre de nouvelles aventures, peut-être même passer d’une forme de captivité à une autre. Mais n’anticipons pas. Arrêtons-nous pour l’instant à la fois aux ressources et aux raisons qui ont conduit à l’écriture de votre deuxième volet de la vie de cette femme. Comment est né ce nouveau roman, Héloïse – Les Fleurs du sérail ?

Il est né d’un fait réel : en août 1813, 33 prisonniers s’échappèrent de Cabrera en dérobant une chaloupe du navire de garde espagnol et atteignirent la côte nord-africaine à Cherchell, en Algérie. Le consul français d’Alger organisa leur rapatriement.

Mais il a aussi son origine dans ma volonté de parler des femmes de diverses cultures et religions au XIXe siècle. Si Marie était catholique dans La prisonnière de la mer, nous rencontrons ici Leïla qui est musulmane. Et enfin, il y a des lectures, particulièrement les ouvrages de Fatima Mernissi (« Rêves de femmes », « Le harem et l’occident » entre autres) recommandés par une amie qui m’ont plongée dans un monde passionnant et m’ont fait penser différemment.

– Avant de parler des nouvelles aventures qui attendent votre héroïne, essayons de raviver la mémoire de cette jeune vivandière qui au moment où commence votre nouveau roman vient d’avoir à peine 20 ans. Pouvez-vous nous redire qui est-elle et quel parcours a-t-elle suivi de son hameau et jusqu’aux îles espagnoles ?

Héloïse est une fille de paysans de Senlis, récemment marié à un métayer qui piochera le mauvais numéro à la mairie et sera envoyé à la guerre d’Espagne. Elle se fera vivandière de l’armée napoléonienne pour suivre son conscrit, comme beaucoup de cantinières d’ailleurs. À la terrible défaite de Baylen, ils seront faits prisonniers et envoyés sur des bateaux-prisons au large de Cadix, véritables mouroirs sur mer. Les corps jetés à l’eau finissant au large de la ville, les habitants demanderont à se débarrasser des pestiférés. Certains seront envoyés aux Canaries, Héloïse et ses compagnons seront transférés aux Baléares. Armand ne survivra pas au typhus et décèdera en chemin. Héloïse arrivera seule à Cabrera, sans protecteur, avec 20 autres femmes au milieu de 5000 hommes. Pour le reste, il faut lire La prisonnière de la mer.

– Héloïse a, le lecteur l’apprendra très vite, un très fort caractère. Son jeune âge ne l’empêche pas d’avoir de véritables convictions et un profond sens de la liberté. Je pense que ce désir de vivre libre devient au fur et à mesure des épreuves qui l’attendent de plus en plus fort. Lors de notre précédent entretien autour de La prisonnière de la mer, vous décriviez Héloïse comme « une femme libre, fidèle à elle-même ». Pourrions-nous dire la même chose dans ce nouveau volet que connaît sa vie ?

Dans ce nouveau volet, ses convictions se voient affaiblis au début du roman. Elle sombre dans la dépression comme la plupart de ces filles que l’on dépersonnalisait, leur enlevant jusqu’à leur nom, pour les rééduquer à une nouvelle façon de penser, d’agir, de vivre. Tout objet tranchant était interdit dans les harems pour éviter les suicides. Mais dans le cas d’Héloïse, un évènement qui la touchera au plus profond de ses entrailles la fera réagir.

– Le destin réserve à Héloïse d’incroyables surprises. La première, celle de se retrouver dans le harem du dey à Alger. Elle deviendra Alev, la flamme. Seriez-vous d’accord de définir cette nouvelle situation comme un passage d’une prison cruelle à une prison dorée ? Comment vit Héloïse ce changement ?

Le harem est définitivement une prison dorée sur le plan matériel mais c’est une prison plus cruelle encore que le camp de Cabrera au niveau psychologique. Sur l’île, il n’y avait pas de manipulation, de reconditionnement, d’emprise. L’espace est aussi plus réduit dans le sérail rendant impossible la privacité, la solitude. Le plus dur pour Héloïse est d’être séparée de ses compagnons. La force des prisonniers à Cabrera était d’être ensemble. Isolée, Héloïse est évidemment plus fragile.

– Avant d’être un lieu paisible, le sérail est aussi un lieu d’effacement de soi où il n’y a pas de place au passé. Comment fait Héloïse pour ne vivre qu’au présent et effacer avec le temps ses souvenirs ? Elle aura même la chance de s’initier aux plaisirs de la contemplation : « être là, ancrée dans le moment présent, détendue, jouir de la beauté de ce qui nous entourait ».

Toutes les personnes qui ont vécu un traumatisme n’ont pas d’autre choix que de s’ancrer dans le présent pour s’en sortir. Avec l’âge, on apprend qu’il n’y a que le présent de vrai. Les amas d’expérience ont formé notre personnalité. Les souvenirs seront toujours là, mais on a le choix de les laisser nous envahir ou de se concentrer sur ce que l’on vit pour le vivre pleinement. Montaigne ne disait-il pas : Quand je danse, je danse et qu’il faut vivre à propos ?  

– Le sérail est aussi un lieu de concurrence entre les élues et les prétendantes, mais aussi lieu privilégié d’instruction, de lectures, voire de sorcellerie pour éloigner le mauvais sort. Une vraie cour de Shéhérazade, en fin de compte. Comment pourriez-vous la décrire au plus près de la réalité que vit Héloïse ?

Le sérail est d’abord un lieu de vie et une grande famille avec ses disputes, ses rivalités, ses préférés : des mères et des enfants qui sont tous demi-frères ou demi-sœurs. Il y a des règles strictes pour maintenir l’ordre comme dans toutes communautés. J’ai voulu souligner qu’à l’époque, on éduquait les filles alors que de nos jours dans certains endroits du monde, on leur retire la moindre bribe d’instruction. La superstition et la sorcellerie étaient très présentes au XIXe siècle autant dans les civilisations occidentales qu’orientales. De nos jours, elles se manifestent sous d’autres formes, mais on continue à croire au pouvoir de l’invisible.

– Il y a également une vraie, puissante relation de sororité entre Héloïse et un autre personnage, Leïla, la favorite. Quelle valeur a selon vous cette solidarité entre ces femmes ?

Le plus important dans la vie pour moi est l’amour et l’amitié. C’est la chaleur des relations humaines qui fait tenir quand tout va mal. Que serait la vie sans le soutien de nos proches ? La profonde amitié avec Leïla permet à Héloïse de remonter la pente.

– Enfin, une nouvelle aventure s’ouvrira devant Héloïse. Elle occupera une bonne partie de la fin de votre roman. Sans dévoiler le suspens de votre récit, je vous propose de citer en guise de conclusion ce petit fragment de la fin du roman : « Je désirais profiter de ma nouvelle liberté, sortir, parcourir la ville, voir le port […] La matinée m’appartenait. J’en ferais ce que je voudrais » (p.265). Est-ce que ce changement vous amènera vers une suite de ce roman, vers une nouvelle histoire d’Alev, redevenue Héloïse ?  

Oui, en effet, il va y avoir une suite à ce roman et nous allons y découvrir un nouveau groupe de femmes (de milieu, culture et religion différentes) sur un autre continent et un nouveau mode d’enfermement.  

Propos recueillis par Dan Burcea

Elisa Sebbel, Héloïse – Les Fleurs du sérail Éditions Jeanne et Juliette, mai 2023, 288 pages. 

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