Interview. Laurence Biava : « Les exilés de la dictature »

 

Avec Les exilés de la dictature, son onzième livre, Laurence Biava plonge dans la vie de Sebastien, qui s’appelle aussi Pablo ou Luco, un réfugié chilien confronté à une crise d’identité qui le pousse à dire « je ne suis pas ce que je crois être ». Comment ne pas accorder crédit à ces paroles sachant que la première personne qu’il croise après son arrivée en ville lui demande qui il est, tellement sa manière chantante de parler est différente. Derrière ce hiatus identitaire se cache l”aventure de toute une vie qui le pousse à partir à la recherche de son passé, sur les trace de sa mémoire. Un chemin qui le mènera loin, dans un voyage de retour plein de suspense. En cela, Laurence Biava nous prouve encore une fois sa maîtrise narrative et son regard à saisir l’essentiel d’une vie prise dans les tourments de l’Histoire, comme celle de son héros.

Vous écrivez un livre sur la recherche de ses racines dans toute sa complexité : identitaire, d’intégration, du retour aux sources. D’où ressurgit ce thème et quelle place occupe-t-elle dans votre écriture ?

L’un de mes précédents romans « Les causes éperdues » parlait beaucoup de la mémoire. À partir d’une réécriture romancée de la chute du Mur de Berlin, l’un de mes héros remontait le fil du temps, et évoquait la mémoire de quelques rescapés des camps de la mort, et globalement le devoir mémoriel relatif à la Shoah. Le thème principal de ce roman, au-delà de la construction de l’Europe post 1945, était la lutte contre l’antisémitisme. Ceci faisait écho à la situation personnelle de l’héroïne principale, qui racontait le viol dont elle avait été victime en banlieue. En ce qui concerne l’identité et l’intégration, c’est, par contre, la première fois que j’en parle dans un livre, c’est vrai.

Le titre de votre livre est construit sur « les exilés » et « la dictature ». Pouvez-vous nous en dire plus sur ce face à face dichotomique ?

Je connais des personnes apatrides, j’en connais d’autres qui sont expatriées, parce qu’elles ont fait ce choix-là : vivre et être ailleurs plutôt qu’ici. En revanche, je sais peu de personnes qui peuvent se dire délibérément exilées. « Les exilés de la dictature », tout simplement pour une raison contextuelle forte et rationnelle : un fait historique gravissime qui fait que des personnes se sont trouvées exilées de leur pays d’origine sur la base d’un mensonge historique. Ce roman qui mêle mensonge identitaire et duperie entre le fait de se croire expatrié quand, en fait, on est exilé, est l’histoire d’une gigantesque énigme existentielle. Il ne s’agit pas à mon sens de dichotomie mais de lien propre lié à l’histoire de l’Amérique Latine.

En quoi la crise politique chilienne a attiré votre attention, à tel point d’en faire un sujet de roman ?

C’est une page de notre histoire contemporaine occidentale dont on ne parle pas assez. Au XXIe siècle, on a tendance à se focaliser davantage sur les dictatures proche et moyen-orientales ainsi que sur celles du continent africain, comme si elles étaient plus près de chez nous.  Pinochet, on dirait que c’est déjà de l’histoire trop ancienne. Au sens propre comme au figuré, un océan nous sépare, à tous points de vue. Or, on ne s’imagine pas les failles laissées dans le psychisme des résilients.   

Pouvez-vous nous décrire en quelques mots votre héros, Sébastien alias Augusto Sandoval-Salinas ? Pourquoi parle-t-il d’un hiatus lorsqu’il se regarde dans la glace ?

Sébastian, Augusto Sandoval-Salinas retrouve liberté et identité civile au sortir du monastère, alors qu’il quitte l’habit après seize ans d’une vie religieuse engagée lors d’une crise politique très sévère qui a marqué son pays d’origine : le Chili. Mais Sébastian se nomme aussi Pablo, ou Luco, ou Elias, Gutteriez, Dias, enfin, il ne sait plus. Son identité troublée l’emprisonne jusqu’au plus profond de son âme, ses troubles du sommeil persistent, un mal-être général le domine totalement. Ce n’est qu’en rencontrant Laura, d’abord, et en intégrant troupe de théâtre, et groupe de réfugiés politiques chiliens, ensuite, qu’il comprend combien il n’est pas l’expatrié qu’il croyait mais bel et bien exilé victime de la répression. Hiatus, car il bute dès le sortir du monastère sur son identité, sur des prénoms, s’interroge, rêve et cauchemar. Ses premières rencontres « en extérieur » servent en quelque sorte de révélation, et lui permettent de se voir sans filtre. Son malaise se développe, il comprend qu’il est victime d’une forme d’amnésie.

Quel sens a pour vous, en tant que romancière, ce que votre héros appelle de ses vœux les plus chers, celui de retrouver ses racines ?

Il s‘agit pour mon héros de déconstruire une énigme existentielle qui semble lui être propre. Il veut vivre en paix avec lui-même et ne plus supporter le choc des divisions internes. Pour ce faire, il va tout entreprendre pour remonter à la source de ses origines, et recomposer le puzzle familial. En tant que femme, il me semble vital d’opérer ce genre de démarches.  En tant que romancière, le thème de l’identité où se mêle aussi bien les sentiments d’unité que de dispersion, me semble inépuisable. 

Deux autres mots s’imposent au fil de la lecture de votre livre : mémoire et source des origines ? Quelle place leur accordez-vous dans l’aventure de votre héros ?

Elle est fondamentale et amplifiée autant par sa propre intuition que par les correspondances que le héros écrit à l’Association des Chiliens en exil.   Augusto remonte à la source du temps et plus le temps va, moins les souvenirs sont flous. Toujours grâce à ses rencontres et ses échanges, il finira par élucider le mystère de son enfance et découvrira qu’il était le fils de militants de gauche assassinés lors du coup d’état, adopté ensuite par une famille de militaires qui avait soigneusement dissimulé ses véritables origines. La mémoire, oui, comme un fil d’Ariane, et le héros va de découverte en découverte, il suit un jeu de pistes.

Vous parlez dès le début de votre livre « d’insertion ». Comment vit Sébastien cette expérience ?

Il ne la vit pas bien de suite, cette insertion, elle ne lui sied pas, elle semble ne pas lui correspondre. Avec Laura, sa compagne, il s’époumone, et se fâche. Et puis, les choses et divers ressentis prennent place peu à peu en lui.

« Quitter le lieu du ressentiment et de la haine » est à la base d’une thérapie du retour pour votre héros. Comment juge-t-il le passé et l’histoire de son pays sous la dictature ?

Mon héros vit les événements dont il ne porte aucunement la responsabilité de manière apaisée. Il pense que sa quête spirituelle et existentielle l’ont fait devenir et l’ont humanisé davantage. Il pense qu’il ne doit pas s’encombrer des fautes et des crimes de ceux qui l’ont précédé. Lors du voyage retour, il réalise, avec Marco qu’il a retrouvé, combien le Chili et les siens lui ont manqué pendant 15 ans.

Et les noms qu’Amalia (un autre de vos personnages) répète sans cesse font aussi partie de cet exercice de mémoire ?

Oui, j’ai travaillé le phénomène de répétition et de reconstitution. Avec Amalia, Augusto est entraîné dans « le kaléidoscope du temps ». J’ai voulu, que, grâce à elle, il quitte « l’exil ». A l’abstraction et la complexité du début de mon livre, succède l’objectivité des faits concrets, de l’Histoire, telle qu’elle s’est produite. C’est toujours dans le respect de cet exercice de mémoire qu’Amalia ouvre une boîte et dévoile en toute fin des photos de visages. Toujours ce fil ténu entre l’identité visuelle ou auditive et la mémoire encore trouée de Pablo, sorte de lucarne où sont empilés les souvenirs. 

En quoi cette aventure à travers son passé est-il utile et nécessaire aujourd’hui pour toute une génération d’exilés (chiliens mais pas seulement) ?

Il est fondamental de savoir d’où l’on vient et qui on est. Dans un souci d’objectivité et d’authenticité. Par devoir moral. Ce n’est un mystère pour personne, l’histoire se répète. Contrairement à ce qu’aucuns énoncent, on juge les crimes du passé de tout temps, avec les yeux d’hier et d’aujourd’hui. Voyez quel est le sort réservé aux femmes yézidies ou aux arméniens par le peuple turc.

Interview réalisée par Dan Burcea

Laurence Biava, Les exilés de la dictature, Le Lys Bleu Editions (28 juillet 2020), 164 pages.

Print Friendly, PDF & Email
Partagez cet article