Portrait en Lettres Capitales : Sandra Mézière

Qui êtes-vous, où êtes-vous née, où habitez-vous ?

Je suis née à Laval, en Mayenne. Je suis domiciliée à Paris depuis une dizaine d’années mais je possède toujours une adresse à Laval, la maison de mon enfance, le lieu idéal pour écrire au calme. Et je suis cela : toujours entre deux vi(ll)es. Et passionnée avant tout : d’écriture, de littérature, et de cinéma.

Vivez-vous du métier d’écrivaine ou, sinon, quel métier exercez-vous ?

Je voudrais ne faire que cela tant cette passion est irrépressible, jubilatoire, tant il est vital pour moi d’écrire, d’exprimer et susciter des émotions par l’écriture. Mon temps se partage entre l’écriture de romans et de nouvelles d’un côté et, de l’autre, l’écriture d’articles, principalement sur le cinéma, pour les différents sites internet que j’ai créés et ponctuellement pour la presse.  

Comment est née votre passion pour la littérature et surtout pour l’écriture ?

J’avais pour habitude de me réfugier dans la lecture dès l’enfance. J’ai commencé à me plonger dans les classiques très tôt, en piochant dans la bibliothèque familiale. Mon père était aussi passionné de littérature et un lecteur insatiable donc j’avais la chance d’avoir beaucoup de classiques à disposition même si lire Balzac dès 8 ans me faisait parfois passer pour une extraterrestre (et je crois que cela m’arrive encore bien souvent). Alors, à l’école, je lisais ces livres « de grands » en cachette. Je devais avoir l’impression que lire était un délit, ce parfum d’interdit procurait sans doute encore plus de saveur à l’exercice.

 Je me souviens que dans mon journal intime, dès 7 ou 8 ans, j’avais écrit que mon rêve était de devenir écrivain, sans oser l’avouer à quiconque. Être à l’origine de ce refuge qu’est la littérature, de cette évasion, me semblait être le plus beau métier du monde. Le moyen magique de susciter mille émotions et d’être un autre ou véritablement soi à travers des personnages inventés, à travers l’expression d’une vérité légèrement mensongère.

 Il m’a fallu des années ensuite pour m’avouer que ce n’était peut-être pas totalement utopique ou honteusement présomptueux. L’écriture m’a permis de vivre des moments incroyables. Aussi passionnée de cinéma que d’écriture, à partir de mes 18 ans, j’ai participé à pas mal de concours d’écriture que j’ai très souvent remportés qui permettaient d’être invitée dans des festivals de cinéma en tant que membre de jurys notamment.

 Ensuite, en 2003, j’ai créé un blog (Inthemoodforcinema.com, sur lequel j’écris encore) à l’heure où le mot était à peine connu, pour partager ces aventures sous forme de récits. Là encore, cela m’a permis d’être invitée un peu partout pour couvrir des festivals de cinéma. Et là encore, l’écriture était à l’origine d’aventures incroyables. Je me suis dit que peut-être je pouvais dire un peu plus fort que j’avais envie d’être romancière d’autant qu’en parallèle, je commençais à remporter des concours de nouvelles que j’écrivais depuis l’adolescence…

 Mais il m’a fallu du temps. J’ai même suivi des études qui n’avaient rien à voir : droit, sciences politiques, médiation culturelle, cinéma. Si c’était à refaire, sans aucun doute, je suivrais des études de Lettres vers lesquelles on avait d’ailleurs dès le départ voulu m’orienter.

Quel est l’auteur/le livre qui vous ont marqué le plus dans la vie ?

Difficile de n’en choisir qu’un seul. Alors, comme j’ai déjà cité Balzac plus haut (et puis il faudrait citer tout Balzac dont je suis une inconditionnelle), je dirais le flamboyant Belle du Seigneur d’Albert Cohen pour l’intemporelle critique sociale, satire si acerbe et juste d’une société avide d’ascension sociale, pour la dissection de la naissance et de la désagrégation de la passion, pour son écriture vertigineuse avec ses digressions, ses apartés, ses phrases étourdissantes, sans ponctuation. Une écriture exaltée qui sublime la passion, amoureuse et de l’écriture. C’est d’ailleurs autant un roman d’amour qu’un roman de désamour puisque la passion y étouffe ceux qui la vivent. Un roman éblouissant et terrifiant. Comme les sentiments qu’il dépeint, qu’il dissèque. Un roman, une expérience même, qu’on adore ou déteste mais qui ne laisse sûrement pas indifférent, ne serait-ce que pour l’écriture admirable d’Albert Cohen, à la fois ardue et limpide, avec ses phrases lyriques et en même temps réalistes, et qui vous font chavirer d’admiration. Une écriture aussi exaltée que l’amour fou entre Ariane et Solal. Et une fois le livre terminé, toujours la même envie : le relire avec avidité, redécouvrir les personnages, retrouver des indices qui nous feront les envisager différemment, les retrouver pour presque éprouver (grâce à la magie de l’écriture magistrale de Cohen) ce qu’ils ressentent, les plaindre, les détester, les envier, ne pas toujours les comprendre. Revivre cette expérience d’une troublante, tragique, violente et singulière beauté.

J’aurais pu aussi citer Martin Eden de Jack London que les auteurs citent d’ailleurs souvent, un peu pour les mêmes raisons que le livre de Cohen. Martin Eden est avant tout un roman sur la fièvre créatrice et amoureuse qui emprisonnent, aveuglent et libèrent. Quintessence de l’histoire romanesque, le roman de London est là aussi une peinture de la société, de son hypocrisie, de la superficialité de la réussite, des bas-fonds de San Francisco aux salons de la bourgeoisie.  C’est l’itinéraire d’un être passionné et idéaliste, un roman d’un romantisme désenchanté, un roman de passions et de désillusions. C’est aussi un roman des « illusions perdues » pour revenir à Balzac…

Quel genre littéraire pratiquez-vous (roman, poésie, essai) ? Passez-vous facilement d’un genre littéraire à un autre ?

J’écris des romans et des nouvelles. Je passe sans trop de difficultés de l’un à l’autre. J’ai même l’impression qu’écrire beaucoup de nouvelles comme c’est mon cas actuellement permet d’enrichir l’écriture de romans, que cela apprend à aller à l’essentiel, à trouver la note juste, à ciseler les personnages, à adopter un rythme.

 Je viens aussi de me remettre à l’écriture de scénarii, encouragée par la présélection d’un scénario de court-métrage en festival de cinéma. L’exercice n’est pas littéraire mais permet aussi, je crois, d’enrichir l’écriture romanesque en apprenant là encore à aller à l’essentiel.

Comment écrivez-vous – d’un trait, avec des reprises, à la première personne, à la troisième ?

En général, j’écris ce qui s’apparente à une sorte de brouillon en me laissant porter par les personnages et les émotions (que je ressens et souhaite transmettre) ou en tout cas un texte que je n’oserais pas donner à lire, très perfectible, puis j’y reviens plus tard, parfois inlassablement, pour que les phrases deviennent comme une sorte de musique, mélodieuse ou dissonante. Bien sûr, ça, c’est l’idéal et je suis loin de toujours y parvenir.

Avant, je ne faisais pas de plan. Je partais souvent du thème directeur et de personnages et me laissais guider. C’est toujours un peu étrange de dire cela mais souvent les personnages portent l’écriture (et nous emportent). Cela a changé pour mon dernier roman, celui que je suis en train d’écrire. Comme la structure est assez complexe avec beaucoup de personnages et de lieux et que je souhaite le terminer pour juillet, j’ai écrit un plan très précis. Cela aide à consolider l’édifice et c’est ensuite un gain de temps indéniable.

D’où puisez-vous les sujets de vos livres, et combien de temps est nécessaire pour qu’il prenne vie comme œuvre de fiction ?

Les sujets de mes romans ou nouvelles sont souvent partis d’un coup au cœur, d’une émotion et de l’envie d’en susciter : une douleur, une joie, un deuil (pour mon premier roman), un regret, une rencontre…Une émotion intense en tout cas. Une émotion qu’il devient vital de partager, de transformer en mots, en histoire.

Cela peut aussi partir d’un lieu, comme cela a été le cas pour mon roman Les Embrasés qui se déroule en Grèce.

Au début, le monde du cinéma (et notamment les festivals de cinéma) a été ma source d’inspiration principale, d’abord parce que je trouve que cette concentration spatio-temporelle en fait un cadre très romanesque mais aussi parce que pour fréquenter ces festivals depuis une vingtaine d’années je les connais bien. Que le cadre sonne « juste » est pour moi toujours essentiel donc parler de ce que je connais le mieux était une évidence. J’ai ainsi écrit un roman, L’amor dans l’âme (Editions du 38, 2016), et un recueil de 16 nouvelles, Les illusions parallèles (Editions du 38, 2016), qui se déroulent dans le cadre de festivals de cinéma, le Festival de Cannes pour le roman, une dizaine d’autres festivals pour le recueil.

Pour un roman, il faut au moins un an. Pour une nouvelle, c’est très variable mais comme je suis très perfectionniste et que je m’attache beaucoup à la musique des phrases, même si la nouvelle est courte et qu’elle n’a nécessité qu’une journée d’écriture, j’aime bien la laisser pour y revenir le lendemain ou quelques jours plus tard.

Choisissez-vous d’abord le titre de l’ouvrage avant le développement narratif ? Quel rôle joue pour vous le titre de votre œuvre ?

Le titre est essentiel. Il va souvent insuffler un ton. Pour les romans, je l’ai toujours avant de commencer l’écriture. Pour les nouvelles, il arrive en revanche que je le trouve à la fin de l’écriture mais cela peut aussi être le point de départ.

Quel rapport entretenez-vous avec vos personnages et comment les inventez-vous ?

C’est toujours difficile de cerner ce qui nous inspire précisément. Il y a une part de mystère, mais aussi une part de soi, une part d’observation, une part d’invention pure. Là aussi, cela peut partir d’une émotion qu’une personne m’a procurée, qu’elle soit positive ou négative. L’émotion est vraiment au centre de ce que j’écris. Et lorsque des lecteurs me disent que j’ai réussi à en susciter, c’est pour moi toujours le plus beau des compliments.

Parlez-nous de votre dernier ouvrage et de vos projets.

Ma dernière publication est une nouvelle intitulée Les âmes romanesques, lauréate du Prix Alain Spiess 2020. Il s’agissait d’écrire une nouvelle sur le thème « Trouville et le confinement ». L’envie de parler de deuil à nouveau en a dicté l’écriture. Il y est aussi question de la possibilité d’un amour.

Je publie aussi toujours beaucoup de nouvelles sur le site Short-Edition.com, plusieurs ont également été récemment lauréates de concours du site.

J’ai aussi auto-publié un roman, Les Embrasés, qui avait été finaliste du Prix du Livre romantique 2019. Il devrait d’ailleurs bientôt connaître un autre destin après quelques mésaventures.

J’ai un autre roman en attente de publication qui a aussi été finaliste d’un autre concours d’écriture en 2021. J’espère également bientôt pouvoir vous en parler. Tout ce que je peux dire, c’est qu’il parle d’enfance.

Et, surtout, je travaille passionnément sur un roman qui a la musique pour fil conducteur (et, encore, un peu, le cinéma). J’espère le terminer en juillet et que ce sera, là encore, le début d’une belle aventure…

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