Portrait en Lettres Capitales: Myriam Chirousse

 

Qui êtes-vous, où êtes-vous née, où habitez-vous ?

Bonjour, je suis Myriam Chirousse, je suis née dans le sud de la France, plus exactement sur la Côte d’Azur, qui a inspiré mon dernier roman Une ombre au tableau, paru en 2018. J’ai longtemps vécu en France (Côte d’Azur, Paris, Nord, sud-ouest aussi), puis en Espagne, puis de nouveau en France. Depuis l’année dernière, je suis de retour en Espagne, qui est vraiment mon pays de cœur. Après avoir beaucoup déménagé, je pense m’être sédentarisée.

Vivez-vous du métier d’écrivain ou, sinon, quel métier exercez-vous ?

Je vis du métier d’auteure au sens large, que je partage en deux activités : d’un côté l’écriture de mes romans, et de l’autre l’écriture de traductions de romans. En réunissant les deux, oui, j’en vis. Mais pour être honnête, il faut préciser que j’ai des besoins financiers très modestes. Selon une formule que mon père aimait à employer : « je ne manque de rien, mais je me prive de tout » ! Cela reflète assez bien la situation d’un grand nombre d’auteurs et d’artistes.

Comment est née votre passion pour la littérature et surtout pour l’écriture ?

J’ai eu une enfance solitaire. Je ne comprenais pas bien le monde autour de moi et j’avais l’impression que ce monde ne me comprenait pas non plus, qu’il ne saisissait pas quelle enfant j’étais. Je sentais qu’il y avait beaucoup de choses qui clochaient sans pouvoir les nommer : c’est en devenant adulte que j’ai compris que j’étais entourée de dysfonctionnements. Enfant, j’ai trouvé refuge dans les livres. J’éprouvais une fascination presque sacrée pour la bibliothèque de ma grand-mère. Chaque fois que j’y entrais, c’était pour moi comme pénétrer dans une église ou un temple : imaginez un endroit frais, silencieux, une lumière tamisée. Je revois ces murs de livres autour de moi, les dos des livres, reliés, en cuir, avec leurs titres dorés. J’avais le pressentiment que quelque chose de mystérieux et merveilleux se cachait là. L’explication, peut-être. La réponse aux questions que la vie me posait. Et le pressentiment aussi de quelque chose d’inépuisable, et de fiable. Que ce serait toujours là pour m’accompagner. Qu’il y aurait toujours un livre quelque part pour m’apporter une nouvelle réponse, ou un nouvel émerveillement. Et que j’étais là, dans ce monde, pour lire tous ces livres. Et pour leur répondre, en écrivant à mon tour, en prenant ma place dans cette bibliothèque.

Quel est l’auteur/le livre qui vous ont marqué le plus dans la vie ?

Il y en a beaucoup qui m’ont marquée différemment selon l’étape où j’en étais. Bien sûr, les classiques ont été fondamentaux dans ma formation, une base, un socle. Ils m’ont subjuguée et façonnée pendant mon adolescence. Ils m’ont fait aimer la langue française. Ils m’ont fait ressentir toute l’émotion que peut receler une belle phrase. Et puis, à dix-huit ans, ce choc (qui allait entrainer bien des choses) : Cent ans de Solitude, de Gabriel Garcia Marquez ! Une lecture marquante et mémorable. Bien des années plus tard, face aux questions de ce portrait, je me souviens encore de ce jour de juin ensoleillé où j’en ai lu la première phrase dans le jardin.

Quel genre littéraire pratiquez-vous (roman, poésie, essai) ? Passez-vous facilement d’un genre littéraire à un autre ?

J’écris des romans. Des traductions. Parfois la poésie me tente…

Comment écrivez-vous – d’un trait, avec des reprises, à la première personne, à la troisième ?

J’ai tendance à couver longuement mes premières idées, peut-être pour prendre le temps de mesurer s’il s’agit d’un enthousiasme passager, ou au contraire d’une inspiration forte, liée à des thèmes qui vont s’enraciner profondément en moi. L’idée passagère va s’envoler ; celle qui contient des graines va germer, évoluer, croître de manière obsédante, parfois inconsciemment. Elle peut se ramifier dans tous les sens. Alors je prends des notes, je commence à rédiger certains passages, je teste des voix narratives, de points de vue… Il m’arrive de rédiger beaucoup de pages – et même de croire que je suis en train d’écrire le livre ! – mais en général, à ce stade, l’histoire ne tient pas la route. Alors arrive un moment où tout s’effondre. Et je suis obligée de tout remettre à plat. C’est sans doute une autre partie du cerveau qui s’y colle : je restructure tout. Ou plutôt : je structure enfin ! C’est un travail d’architecture, aussi créatif et artistique que l’architecture peut l’être. La structure d’un roman est porteuse de sens, d’émotions, d’effets significatifs pour le lecteur. Ensuite vient une première rédaction, au cours de laquelle je m’efforce de faire taire un certain perfectionnisme, pour libérer la spontanéité de l’émotion, de l’imagination, de la création la plus pure. Puis viennent des relectures – voire des réécritures ! – minutieuses et précises, pour polir le texte et lui donner son éclat final. 

J’écris généralement à la troisième personne, au passé simple : c’est une voix narrative dont j’apprécie la puissance, l’expressivité et la polyvalence, car elle peut intégrer ponctuellement d’autres voix narratives, ou des points de vue plus spécifiques. Mais j’ai fait des exceptions : mon roman Le Sanglier, par exemple, est écrit au présent, ce qui a du sens puisque l’on suit les personnages sur une période de temps unique et restreinte, une journée, et que je donne à voir les actions un peu comme au théâtre. Autre exception : dans mon roman jeunesse, Le cantique des elfes, qui traite des jeux en réseaux, des avatars et de la question des identités virtuelles, j’ai alterné différentes voix narratives, ce qui me semblait une manière intéressante de faire sentir physiquement au lecteur ces changements d’identité, cette déstabilisation des niveaux de réalité.

D’où puisez-vous les sujets de vos livres, et combien de temps est nécessaire pour qu’il prenne vie comme œuvre de fiction ?

Les sujets de mes livres m’apparaissent sans que j’aille les chercher (il doit y avoir quelques tours de mon inconscient là-dessous !). Cela dit, j’aime collectionner toutes les choses qui m’intéressent ou provoquent en moi une émotion. Quand je surfe sur internet, c’est un peu comme si j’avais un filet à papillons à la main, et j’attrape pêle-mêle des articles, des images, des musiques, des citations, etc., en me disant chaque fois « tiens ! ça fera peut-être un sujet de livre ? ». Mais en vérité, je m’aperçois que je ne retourne jamais chercher des sujets dans ce réservoir.

La durée nécessaire pour donner vie à mes romans est très variable. Il m’a fallu presque vingt ans pour écrire mon premier roman, Miel et vin. Pour les autres, cela a été plus rapide, autour de deux ou trois ans.

Choisissez-vous d’abord le titre de l’ouvrage avant le développement narratif ? Quel rôle joue pour vous le titre de votre œuvre ?

Quand je m’attaque à une histoire, je lui donne un titre provisoire qui répond purement à un besoin pratique : quand vous créez des fichiers informatiques, vous êtes bien obligé de les nommer ! A ce stade, le titre est un outil de travail. Il faut qu’il ait de la clarté, qu’il désigne bien le travail en cours, c’est tout. Par exemple, en ce moment je travaille à un roman que j’appelle Carlotta, du prénom du personnage principal. Je suis à peu près sûre que ce ne sera pas le titre final, car j’ai envie de trouver mieux. Le titre, c’est le premier pont vers le lecteur. Il faut qu’il accroche, qu’il interroge, qu’il fasse indirectement une promesse, c’est-à-dire qu’il suggère quelque chose de ce que le lecteur trouvera à l’intérieur. Le titre appartient déjà à la couverture du livre et, de ce fait, il remplit aussi une fonction qui va au-delà de l’écriture : celle de la diffusion, de la promotion, du marketing de l’ouvrage. Il doit être pensé avec soin.

Quel rapport entretenez-vous avec vos personnages et comment les inventez-vous ?

Mes personnages sont à la fois des sortes d’alter ego et, paradoxalement, des inconnus que j’apprends à découvrir peu à peu. Enfin, ce n’est peut-être pas si paradoxal : il est peut-être très banal, au contraire, de se projeter dans un autre pour mieux se connaître, par effet miroir. En tout cas, c’est une relation très intime. Il m’est arrivé qu’un personnage garde longtemps une part d’ombre et de secret, que je n’ai percée qu’à un stade avancé du livre. En fait, plutôt que les inventer, j’ai l’impression que je les rencontre. C’est progressif. Je ne travaille pas du tout avec des fiches de personnage ou autres consignes standards, comme, par exemple, celle d’humaniser le personnage en lui collant une faiblesse ou un petit défaut. Vous ne faites pas de fiches de vos amis, non ? Ni de vos ennemis ? Je n’ai pas besoin de savoir quel est le plat préféré de mon personnage ou de le rendre kleptomane ou agoraphobe pour le connaître tel que j’ai besoin de le connaître. Je le découvre à partir des émotions qu’il ressent et qu’il me fait ressentir. Je me souviens qu’un jour où j’avais besoin de creuser un peu plus un personnage, j’ai mis mon dictaphone en marche, j’ai fermé les yeux et j’ai imaginé que j’avais rendez-vous avec lui dans un café pour l’interviewer : des réponses complètement surprenantes, spontanées et éclairantes sont apparues comme ça, au fil de notre « conversation »… (oui, être écrivain, c’est s’autoriser les dédoublements de personnalité !)

Parlez-nous de votre dernier ouvrage et de vos projets.

Mon dernier roman, Une Ombre au tableau, est sorti il y a quelques années. C’est l’histoire d’un couple qui s’installe dans une résidence luxueuse de la Côte d’Azur, mais le mari, attiré par l’aubaine immobilière, n’a pas dit à sa femme qu’un drame avait eu lieu dans la piscine, où l’enfant des précédents propriétaires s’est noyé. Peu à peu, sous une apparence de monde parfait, la gangrène des mensonges et des non-dits fait son œuvre, et le tableau idéal s’assombrit.

Par ailleurs, j’ai ressorti l’année dernière en autoédition un roman intitulé La Paupière du Jour. C’est une sorte de « thriller poétique », si l’on peut dire, dans lequel Cendrine, une femme brisée par la vie, a juré de venger la mort de son fiancé. Sur la piste du criminel, elle s’installe dans un petit village de montagne, où tout le monde semble avoir quelque chose à cacher. Secrets, rancœurs et vendetta sont au rendez-vous.

Enfin, depuis deux ans déjà, je travaille à mon prochain roman, intitulé pour l’instant Carlotta, dans lequel une jeune femme piégée dans une relation toxique va devoir déterrer le secret le plus enfoui de son passé pour découvrir enfin l’amour.

Comme vous le voyez, j’aime beaucoup les secrets, les règlements de compte avec le passé, les vérités à faire éclater au grand jour. Aussi différents soient-ils en apparence, tous mes livres recèlent ce point commun : la quête d’une vérité cachée.

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