Portrait en Lettres Capitales : Simona Sora

 

Qui êtes-vous, où êtes-vous née, où habitez-vous ?

Je suis née à Deva, en Transylvanie, où je retourne souvent comme dans la (pré)histoire, pas seulement la mienne. Deva est une ville tout à fait hors du commun dont on raconte et on a écrit beaucoup d’histoires fabuleuses. Ce n’est pas un hasard qu’elle ait vu naître quelques écrivains bien connus qui ont su s’inspirer du côté fantastique des lieux. Je vis actuellement à Bucarest, en exil, comme tout habitant ayant quitté sa Transylvanie natale. J’ai vécu une période en Suisse où je me suis sentie plus chez-moi que je le fais maintenant à Bucarest.

Vivez-vous du métier d’écrivaine ou, sinon, quel métier exercez-vous ?

Je travaille aux Éditions de l’Institut culturel roumain. Avec l’argent que je reçois en fin d’année de la maison Polirom pour mes droits d’auteur sur mes livres, je m’achète des bonbons et des livres. Les honoraires reçus pour la traduction de mon roman Hôtel Universal en français et en croate m’ont permis de passer l’année 2014 sans être obligée de travailler. Mais, comme je vous disais, je ne suis pas trop exigeante : des bonbons et des livres.

Comment est née votre passion pour la littérature et surtout pour l’écriture ?

La lecture n’est pas pour moi une passion, elle représente la vie et, par bonheur, j’en ai fait mon métier. Quant à l’écriture, les choses sont plus simples : je n’ai jamais souhaité devenir à tout prix écrivain, il m’est juste arrivé de ressentir le besoin (intérieur) de mettre par écrit certaines choses. Si j’avais le choix, je préfèrerais plutôt lire qu’écrire.  

Quel est l’auteur/le livre qui vous ont marqué le plus dans la vie ?

Chronologiquement, évidemment Dostoïevski dont j’ai lu à l’âge de 14 ans tous ses livres dans la miraculeuse collection en 12 volumes publiée aux Éditions Univers. J’en suis sortie stupéfaite, bouleversée, transformée. Plus récemment, j’ai été profondément touchée par le chilien Roberto Bolaño à la fois par ses chefs-d’œuvre comme par les livres moins connus, certains écrits sur commande. Il y a ensuite un autre auteur, dont je préfère passer sous silence le nom et qui, ces deux dernières années, a complétement bouleversé ma vie.

Quel genre littéraire pratiquez-vous (roman, poésie, essai) ? Passez-vous facilement d’un genre littéraire à un autre ?

J’écris des romans, mais le genre que je fréquente le plus c’est l’essai. Après la modernité, je ne pense pas que le genre littéraire ait encore de l’importance en littérature. Il y a des formes qui servent mieux que d’autres à rendre service au contenu, les écrivains savent comment ces formes réussissent à s’imposer devant la conscience.

Comment écrivez-vous – d’un trait, avec des reprises, à la première personne, à la troisième ?

Certaines choses j’arrive à les coucher rapidement sur papier, d’un seul jet, cela m’arrive surtout lorsque je suis contrariée ou en colère à cause de certaines actualités. Quand je travaillais comme journaliste, il m’arrivait d’écrire poussée par la colère, par l’exaspération ou parce que j’avais le sentiment de rendre ainsi justice. Maintenant, et surtout si je le fais au calme, j’essaie de revoir quelques jours plus tard le texte et juger de l’importance (pour moi) du sentiment de justice dont j’étais attirée par reflexe. J’avais commencé il y a quelques années à écrire des «Lettres de Sonora, me sentant réellement comme dans un désert et voulant lancer à partir de ce lieu quelques torpilles. Aujourd’hui je vaque tranquillement à mes occupations tout en essayant de ne plus me laisser entrainée dans toutes sortes de combats (pour des fonds ou à titre symbolique) semblables à des croisades. Quant au torpilles, je les garde dans mon journal.

D’où puisez-vous les sujets de vos livres, et combien de temps est nécessaire pour qu’il prenne vie comme œuvre de fiction ?

Mes sujets sont plutôt intérieurs, appartenant à l’intime et à leur manière de s’exprimer. Ils prennent l’habit de l’écrit lorsque leur forme devient cohérente. Je crois en l’existence des esprits de la forme qui cristallisent ces contenus intérieurs et que, si l’on prête suffisamment attention au moment où ils commencent à se dessiner, l’on a toutes les chances de leur donner une forme juste, transmissible et adéquate à l’instant que l’on vit.

Choisissez-vous d’abord le titre de l’ouvrage avant le développement narratif ? Quel rôle joue pour vous le titre de votre œuvre ?

Jusqu’à présent, le choix des titres a été primordial. Ils ont structuré en quelque sorte mes livres. Je constate depuis peu que le titre arrive plus tard, au mieux il arrive en dernier. Lorsque j’ai décidé du titre de mon dernier roman Complezență  [Complaisance] plusieurs de mes amis (des gens lettrés) m’ont conseillée de le changer. Comme je fais toujours confiance à ces quelques personnes qui lisent mes livres avant leur publication, et comme mon roman avait deux parties, qui s’opposaient de point de vue du temps de l’action, j’ai opté pour deux titres : Înălțarea la Ortopedie [L’ascension à l’Orthopédie ] et Musafir pe viață [Invité à vie]. Je n’ai jamais eu le sentiment que ces deux titres étaient appropriés : le vrai moteur reste Complezență [Complaisance], sans article défini, et comme si je prononcerais un soir au téléphone un mot comme celui de Rușine ! [Honte!].

Quel rapport entretenez-vous avec vos personnages et comment les inventez-vous ?

Beaucoup de mes personnages sont des amis d’enfance oubliés mais qui m’ont marquée à l’âge qui laisse des traces indélébiles. J’essaie en quelque sorte de les reconstituer, de leur donner consistance, en suivant tantôt leurs traces très fines, tantôt leurs rires, une parole prononcée au hasard ou de manière rhétorique. Je trimballe avec moi depuis quelque temps une somme de biographies imparfaites, des êtres qui rôdent autour d’un de mes personnages clé de ma biographie réelle, mais j’ignore quand tout cela va prendre forme.

Parlez-nous de votre dernier ouvrage et de vos projets.

Simona Sora - Complezenta. Musafir pe viata - Complezenta. Inaltarea la Ortopedie - Libraria Mihai EminescuMon dernier roman Complezență  [Complaisance], paru à l’été 2020 a été bien accueilli, à la fois par le public et par la critique, malgré son sujet et sa forme binaire. C’était pour moi la meilleure façon d’exprimer une idée qui m’avait obsédée depuis toujours et qui exprime finalement la manière dont nous nous représentons notre propre liberté de mouvement, nos rapports au monde, nos (ré)actions. En ce moment, je travaille à un livre qui s’appelle Bucăți de noapte [Des franges de nuit], une biographie romanesque d’un poète qui a vu le soleil noir de minuit et a fini par perdre la vue.

(Traduit du roumain par Dan Burcea)

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