Je revenais de mon jardin où je faisais la cueillette de cerises, de grenades et de mangues pour faire le plein de vitamines naturelles ou peut-être jouer à cache-cache avec les mauvaises nouvelles du jour. Puis arrivé devant mon ordinateur, je tombe sur cette question :
Que peut la littérature en ces temps de crise sanitaire causée par le covid-19 ? Un sujet profond et tout à fait intéressant soulevé par le critique littéraire Dan Burcea. Il y a ceux qui, de bonne foi, répondent carrément : RIEN . Je comprends ce nihilisme froid, sans doute un cri du cœur sincère qui se révolte avec raison contre un état de chose malin, presque inhumain, s’apparentant à une arme de destruction massive. Des milliers et des milliers de gens sont en train d’être terrassés par ce mal qui répand la terreur. Mais je dois avouer que sur mon bureau j’ai des textes légers qui m’allègent l’esprit et qui me font oublier. Je relis Les Chats de Baudelaire :
Les amoureux fervents et les savants austères / Aiment également dans leur mûre saison / Les chats puissants et doux amis de la maison / qui comme eux sont frileux et comme eux sédentaires.
Je récite aussi les Animaux malades de la Peste. Je relis René Depestre pour aller revisiter la jeune fille en domesticité. Elle était née sur la colline dans les bras du soleil / Elle était née sur la colline bercée par le soleil… Et ma pitié pour le baudet, et ma sympathie pour la soubrette malmenée ont donné un coup d’amnésie temporaire à ma déprime.
Eh oui, la littérature peut dégainer ses atouts, entrer en guerre contre la sinistrose. Elle peut continuer à parler à ceux-là qui l’aiment, en nourrissant d’espoir les secondes dépressives des prisonniers de la crise qui s’embastillent dans une quarantaine obligée. Elle peut se mettre au service de la science, fustigeant les fausses informations et leurs colporteurs, relayant, propageant à sa façon et avec art les mesures simples de prévention et de distanciation. La littérature peut à la limite délaisser le rêve et la fiction pour servir d’instrument de renseignement. Elle peut même utiliser ses atouts oniriques et fictionnels pour conjurer la peur, susciter la venue de la lumière au bout du tunnel. C’est une opinion personnelle pleine d’humilité, d’hésitation et de tremblement en ces circonstances périlleuses où des familles sont en train de pleurer leurs morts. Je compatis à leur souffrance.
Suis-je en train de bien citer La Fontaine : “Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient frappés”? Je voudrais qu’ici la littérature, mère de la communication, des émotions et des vibrations lointaines, soit un très court chemin de l’homme à l’homme. Lorsque la vie est plus terrible que la mort, le vrai courage est d’oser vivre, de lire, d’écrire et de rêver d’une vie nouvelle.
Jean-Robert Léonidas est né à Jérémie, la métropole du sud-ouest d’Haïti. Spécialiste des glandes endocrines, il tient un cabinet de médecin à Brooklyn et est professeur associé de médecine à Downstate University, Brooklyn, New York. Il signe des articles scientifiques dans des revues médicales américaines et européennes (American Journal of Medicine, New York State Journal of Medicine, Journal of the National Medical Association, Cutis, Lancet). En même temps, il écrit des textes culturels et littéraires dans l’hebdomadaire Haïti-Progrès basé à New York.
- Essais :
- Sérénade pour un pays ou la génération du silence, Montréal, Cidihca, 1992, 134 p.
- Prétendus créolismes. Le couteau dans l’igname, Montréal, Cidihca, 1995, 228 p. (sur le bilinguisme haïtien).
- Mon Roumain à moi est au ciel, Port-au-Prince, Presses Nationales d’Haïti, 2007.
- Rêver d’Haïti en couleurs – Colorful Dreams of Haiti, Montréal, Cidihca, 2009 ; photographies de Frantz Michaud.
- « Réinventer l’enfance », dans In Las Palabras pueden : Los escritores y la Infancia, Unicef, 2007, p. 754-756.
- « Tiga ma cicatrice », dans Extrait de Haïti par monts et par mots, Un atlas littéraire, ouvrage collectif, Haïti, Étonnants Voyageurs, 2009.
- Ce qui me reste d’Haïti : fragments et regards, Montréal, Cidihca, 2010, 179 p.
- en collaboration avec Hélène Tirole : L’Impertinence du mot, Riveneuve éditions, 2018.
- Romans :
- Les Campêches de Versailles, Montréal, Cidihca, 2005, 300 p.
- A chacun son big-bang, Éditions Zellige, Léchelle, 20125.
- Retour à Gygès, Éditions Zellige, Léchelle, 2017.
- Poésie :
- Parfum de Bergamote, Montréal, Cidihca, 2007, 117 p.
- Rythmique incandescente, Paris, Riveneuve éditions, 20114,« Entretien avec Jean-Robert Léonidas, auteur de « Rythmique Incandescente » » [archive], sur e-Karbe. L’actualité culturelle du monde caribéen, 28 mars 2012.
- Voix hautes pour Tombouctou, Éditions Tombouctou, 2013.