Portrait en Lettres Capitales : Fabienne Leloup

 

Qui êtes-vous, où êtes-vous née, où habitez-vous ?

Je m’appelle Fabienne Leloup, une auteure née à Angers.  J’habite à Paris depuis l’âge de 23 ans. C’était Paris ou l’étranger. Je suis une citadine. Et mes attaches sont à Paris. Je suis fière de savoir que les salons de Marie d’Agoult, de Delphine Gay, de Pauline Viardot, d’Apollonie Sabatier ou de Madame Offenbach se situaient aux alentours de chez moi.

Vivez-vous du métier d’écrivaine ou, sinon, quel métier exercez-vous ?

Vivre de sa plume est ardu. Il y a beaucoup de talents ! J’ai choisi le métier de l’enseignement. Ma passion de la littérature et des arts nourrit mon enseignement et mon écriture. J’aime enseigner et transmettre. Chaque livre est un enfant de papier pour faire écho au poète Mallarmé. L’écriture nourrit ma pratique professionnelle. Le mot est un matériau sensible que je tente de faire apprécier à mes élèves. A l’ère du numérique, du conspirationnisme, il est important de développer leur sens critique, d’apprendre à structurer leur réflexion. L’introspection permet de souffler, de se ressourcer dans un monde en pleine mutation. Je leur donne des clés. Les romans dits d’apprentissage sont essentiels pour renforcer son armure intérieure. Lire, écrire, transmettre sont mes phares dans la vie.

Comment est née votre passion pour la littérature et surtout pour l’écriture ?

C’est ma mère qui m’a appris à lire avant le CP avec un vieil abécédaire coloré. Cela a eu un impact sur mon imaginaire. Je suis passionnée par la calligraphie. J’ai considéré les lettres comme des êtres vivants. D’où mon intérêt pour la Kabbale, l’ésotérisme, les codes secrets… Ensuite, je suis tombée dans le chaudron magique de la littérature. Les livres me donnaient accès à l’infiniment grand et à l’infiniment petit, à la Bibliothèque de Borges … à la psychanalyse, l’histoire, la philosophie… Jung, Foucault … J’ai dévoré les classiques, pioché dans tous les genres…

Aujourd’hui j’aime découvrir de nouveaux auteurs. Un(e) écrivain(e) pour moi c’est quelqu’un qui s’émerveille, qui se nourrit des autres.

Quel est l’auteur/le livre qui vous ont marqué le plus dans la vie ?

Pour rester dans le domaine de la littérature française :

Au collège, L’œuvre au noir de Marguerite Yourcenar.

Au lycée, Madame Bovary de Gustave Flaubert.

Zénon est un modèle d’intelligence, de courage, de liberté (et il l’est toujours resté pour moi) alors qu’Emma Bovary représente tout ce que je voulais fuir : la médiocrité, les faux-semblants etc

Les romans ont été des amis initiateurs. Ceux d’Hermann Hesse, à une période de ma vie.

En particulier, Le Jeu des perles de verre.

Il y en a beaucoup d’autres, notamment dans la littérature fantastique et de science-fiction. Pour rester dans la littérature française, générale, Balzac a été une révélation. Un génie « torrentiel » selon le mot de Gerald Messadié. C’est peut-être mon romancier préféré au XIXème siècle car il nous donne à voir le réel en plusieurs dimensions : 4 ou 5 D ! La Comédie humaine reste toujours d’actualité, avec ses réflexions sur Paris, les classes sociales, les vices cachés, les réseaux d’influences etc. Le mélange de mysticisme et de pragmatisme aussi. Une effrayante lucidité parfois. J’ai aussi beaucoup lu d’auteurs étrangers : F. Kafka, F. Pessoa, G.G. Marquez, F. Dostoievski, A.Soljenitsyne, Emily et Charlotte Brontë…

Le raffinement dans l’extrême de la littérature japonaise m’a marquée : Tanizaki, Mishima, Edogawa Ranpo…Et aussi l’érudition des romans d’Umberto Eco. Sans oublier les romans de John Steinbeck, les romans gothiques comme Melmoth, l’homme errant de Charles Robert Maturin.  Les romans noirs de Thierry Jonquet et de Jean-Patrick Manchette.

J’aime tous les univers, du moment qu’ils sont habités, modelés par une voix intérieure et un style. Une force. J’aime apprendre.

 

Quel genre littéraire pratiquez-vous (roman, poésie, essai) ? Passez-vous facilement d’un genre littéraire à un autre ?

Très attachée au style, comme je l’évoquais précédemment, j’ai beaucoup pratiqué la nouvelle. Et je la pratique encore. Je regrette qu’elle soit boudée en France, alors que c’est un art de la fulgurance qui correspond bien à la postmodernité. La brièveté nous renvoie à une esthétique de l’inachevé.

Je poursuis dans la fiction romanesque et le récit poétique. Adolescente, j’ai beaucoup écrit de poèmes. Demeure le goût des mots, la précision des termes. Je suis une gemmologue choisissant ses pierres avant de les tailler. J’ai aussi co-écrit une pièce de théâtre sur le transhumanisme avec le poète Sylvestre Clancier qui attend d’être mise en scène… Je pourrai écrire un essai. Au fil du temps, je ne me mets plus de structures limitantes. La littérature est une co-construction socio-historique, un partage d’imaginaires. C’est aussi un art de vivre. Je peux donc passer d’un genre à l’autre. L’écrivain est un hermaphrodite psychique !

Comment écrivez-vous – d’un trait, avec des reprises, à la première personne, à la troisième ?

Je n’écris pas à la première personne. L’auto-fiction est un registre qui ne me convient pas. Plutôt à la troisième personne ou à la deuxième personne pour une nouvelle ou un article. J’écris d’un trait quand il s’agit d’un texte court et je reprends ensuite. Il y a toujours des corrections. Pour un roman, c’est différent. Là, l’écriture s’apparente à une ascèse. Je rumine. Je prends des notes. Je me documente beaucoup. Cela peut prendre des années. Mais il y a toujours une image à l’origine, une émotion impalpable. Je crois que j’aurais aimé être peintre. Je suis très visuelle. Je pense avec des couleurs. Mon précédent roman était en bleu, le prochain, en rouge.

J’écris donc avec la synesthésie.

D’où puisez-vous les sujets de vos livres, et combien de temps est nécessaire pour qu’il prenne vie comme œuvre de fiction ?

Les sujets de mes livres viennent de l’inconscient collectif plutôt que de l’actualité. Ils sont liés au corps et à l’intime. Ce sont des aventures initiatiques. Mais également des immersions dans des mondes d’exception ou secrets : l’univers des tatoueurs, l’univers des « nez », les sociétés secrètes…

Mon premier roman Soie Sauvage chez Nestiveqnen évoquait le pouvoir fascinant du tatouage. Je l’ai écrit en un an. En revanche, la biographie romancée de Maria Deraismes m’a demandé cinq ans de travail. Le temps de la création est un temps long et surtout difficilement mesurable : il varie selon les circonstances, l’état d’esprit…

Quant à la question des sujets en littérature, pour moi, ils sont intemporels : l’amour, la mort, le temps, le Bien, le Mal… C’est à l’écrivain de trouver l’art et la manière de les faire résonner avec son époque. Toutefois je note une évolution dans mon écriture, une conscience plus fine des problèmes de notre société via le prisme de l’imaginaire.

Choisissez-vous d’abord le titre de l’ouvrage avant le développement narratif ? Quel rôle joue pour vous le titre de votre œuvre ?

Le titre est en effet primordial pour moi. C’est la première phrase. Le « pitch ». J’ai choisi Soie Sauvage et Le Parfum de l’Ombre. Mais a posteriori. En général, j’ai toujours un ou plusieurs titres de départ pour me lancer dans l’écriture.

Sinon ce sont des amis ou des éditeurs qui ont trouvé les titres de mes livres, notamment le prochain à paraître chez Ramsay : Entre Elle et Lui.

Quel rapport entretenez-vous avec vos personnages et comment les inventez-vous ?

Il y a une constante : mes personnages principaux sont féminins. Ils évoluent, incarnant les âges de la vie : l’adolescence et ses complexes dans Soie Sauvage, l’affirmation de la jeune femme dans Le parfum de l’ombre, la maturité dans Maria Deraismes, la vieillesse dans Corps Fantômes. S’ils sont une émanation de mon être, ils ont certains traits empruntés à des individus réels. Je mixe réel et imaginaire. La fiction reflète les contradictions humaines, par conséquent les miennes. Toutefois ces personnages m’échappent. Ce sont les lecteurs et les lectrices qu’ils vont accompagner. Aujourd’hui j’ai envie de créer plus de personnages, d’aller vers un roman choral. Une mosaïque plus proche du monde contemporain.

Parlez-nous de votre dernier ouvrage et de vos projets.

Mon prochain roman paraît le 20 septembre chez Ramsay : Entre Elle et Lui.

Sa couleur oscille entre le rouge orangé, l’esprit de feu anticonformiste et le violet mystique.

C’est un roman qui traite de la passion amoureuse en cassant le cliché de la passion destructrice. Chaque personnage va sauver l’autre. Situé exprès au début d’internet, il montre la naissance d’une relation amoureuse et érotique à distance entre une jeune femme et un homme mûr. C’est une réécriture de l’amour courtois des troubadours et de l’Amour Fou de Breton. Une approche du sacré. Une traversée des ténèbres vers la lumière.

J’avais envie d’écrire depuis longtemps sur ce thème du couple et du sacré. Avec le coronavirus, j’ai retrouvé ou plutôt renouvelé mon enthousiasme pour les surréalistes et leurs valeurs : le rêve, l’amour, la connaissance…

Le prochain roman est en gestation et évoquera le monde de l’art contemporain. Cette fois, le principal protagoniste ne sera pas féminin…

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