Pendant les premiers jours de cette période appelée « d’urgence », je m’étais promis d’essayer de toutes mes forces de tenir toutes mes promesses : continuer à travailler au roman que je suis en train d’écrire, lire les livres que je m’étais proposé à découvrir, continuer mes projets professionnels actuels et que l’interdiction de sortie les avait mis en attente. Facile à dire, sauf qu’au fur et à mesure que les informations sur la gravité de la situation s’accumulaient, que la tension augmente autour de moi, je réalise qu’il m’est impossible de me concentrer à ce que je suis en train de faire. Non pas par peur – ce mot qui jusqu’alors semblait déplacé, mélodramatique et qui s’est immiscé désormais dans notre quotidien – mais plutôt parce que je me posais de plus en plus la question de savoir qui aurait encore besoin d’un modeste livre, d’un document ancien, d’un pauvre écrivain ou d’un misérable archiviste.
J’ai suivi à la fois les infos apocalyptiques et les possibles scenarios sur l’avenir de l’humanité, au-delà de la menace de ce virus mortel. Une fois ma peur apaisée, je me suis dit que ce futur arrivera pourtant, peu importe la forme qu’il prendra. Il y aura toujours un lendemain, on le sait, même après les plus grandes catastrophes, un lendemain où nous nous retrouverons les uns avec les autres et chacun avec soi-même. M’imaginer ce temps m’a remis sur les rails, en me faisant penser que l’homme acceptera de se soumettre aux exigences d’une meilleur qualité de vie et donner plus d’importance à sa force spirituelle. Je peux de nouveau croire que lire et écrire ne sont pas deux habitudes acquises seulement pour répondre au néant ou à l’ennui, mais un élan naturel afin de faciliter la création et permettre le partage. Je me vois à cet instant comme une personne utile et nécessaire, confiante à l’idée que mon écriture pourrait aider les autres à dépasser l’angoisse présente au cœur des temps que nous vivons.
Je crois que c’est ça le rôle de la littérature en temps de pandémie : d’aider les gens à rester solidaires, même s’ils sont obligés de garder une distance de sécurité. La littérature n’est pas seulement un luxe trop couteux, destiné qu’aux riches bien nés, les seuls à pouvoir arriver au pic de la pyramide de Maslow. Pyramide qui, en ce qui concerne la littérature, n’est pas juste, car les besoins de l’âme ne peuvent pas être séparés des besoins du corps pour la simple et bonne raison que le corps ne peut pas survivre sans l’âme. La littérature, l’art dans toutes ses formes, seront toujours nécessaires comme le levain est nécessaire à la fabrication du pain. Comme la mémoire du temps passé est nécessaire pour les lendemains que nous devrons désormais construire.
Alina Pavelescu est une historienne et archiviste roumaine. Elle est docteur en sciences politiques de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. Ses débuts littéraires datent de 2016 avec le roman Moștenirea babei Stoltz aux Editions Herg Benet. En 2019 elle a publié le roman Sindromul Stavroghin, aux Éditions Humanitas, dans la collection Scriitori români contemporani. Elle est l’auteure de proses courtes publiées dans de revues littéraires comme Jeni, dans Viața Românească, (2017) ; Povestea fetiței celei proaste, în Actualitatea Literară, (anul IX, nr. 78, février 2018). D’autres contributions dans des volumes collectifs, comme Alegerea, dans In the mood for love. Antologia prozei erotice feminine, coordonée par Marius Conkan, Éditions Paralela 45, 2019; Sfânta Paraschiva a păduchilor, în Cartea întâmplărilor. Mistere, ciudățenii, uimiri, coordonnée par Tatiana Niculescu, Éditions Humanitas, 2019; Școala vieții, în Viața pe Facebook. Dau like deci exist, coordonée par Cristina Hermeziu, Polirom, 2020.
(Traduit du roumain par Dan Burcea)