Portrait en Lettres Capitales : Alain Teulié

 

 

Qui êtes-vous, où êtes-vous né, où habitez-vous ?

Je suis né à Paris, et j’y vis. J’adore les voyages, mais je n’imagine pas m’éloigner de la capitale plus de quelques mois. Elle est comme une amie qui recueille nos impressions, lorsque nous revenons, puis les embelli, ou les transforme. Elle opère des alchimies qui permettent d’écrire après avoir glané ailleurs des informations. Elle n’est jamais la même, ni vraiment une autre. Et d’un quartier à l’autre, elle offre des reflets à nos états d’âme et des libertés pour nous réinventer. Paris est un miroir où l’on peut se comprendre et que l’on peut traverser, parfois, pour aller « au-delà ».

Vivez-vous du métier d’écrivain ou, sinon, quel métier exercez-vous ?

Tout écrivain passionné vit de son travail, que celui-ci l’enrichisse ou pas. Nous vivons de ce que nous faisons, de ce que nous aimons, de ce qui nous traverse et nous modifie. Nous avons surtout faim de ce qui nous passionne, et les gains que nous en percevons sont de l’ordre du bien-être, et de la sensation de savoir « pourquoi on est là ». La presse écrite est une autre corde de cet arc dont les mots sont la cible, mais comme j’ai la chance de produire des romans et des pièces de théâtre, les sources de « revenu » sont doubles – mais ce n’est pas de « revenir », l’essentiel, c’est « d’aller ».

Comment est née votre passion pour la littérature et surtout pour l’écriture ?

Dans l’enfance. Au jeune âge, tout s’inscrit et il semble que tout ce qui se vit après, ce qui se fait, se créé, se sculpte, s’imagine, est une série de branches de cet arbre planté quand l’âme était prête à tout recevoir, et à tout inventer. Mes parents m’offraient beaucoup de livres, et les mots me sont apparus comme des amis fidèles qui acceptaient de s’unir pour faire naître des choses, des événements, des sons, des images. La différence entre cette économie de moyens : des feuilles volantes, un cahier, ou même un simple traitement de texte, et les univers si complexes et divers que nous pouvons y faire apparaitre, m’a toujours paru prodigieux.

Quel est l’auteur/le livre qui vous ont marqué le plus dans la vie ?

« Tendre est la nuit », et son auteur Francis Scott Fitzgerald, car ils sont inséparables. Cet homme est l’écrivain engagé par excellence. Engagé dans l’amour, dans l’amitié, dans la quête, puis dans une forme de folie. Il n’y pas l’art « et » la vie. Il n’y a pas de vie sans art. Les soirées, l’alcool, la beauté des femmes et la peur des hommes, les voitures et les smokings, les bords de mer et les nuits brèves, les discussions sans fin et les rêves jamais atteints, Fitzgerald les vivait en les écrivant, ou les écrivait en vivant, et le couple qu’il formait avec Zelda trouve mille échos dans son œuvre. On n’est pas écrivain du bout des doigts. On l’est jusqu’au bout de l’âme, ou on ne l’est pas.

Quel genre littéraire pratiquez-vous (roman, poésie, essai) ? Passez-vous facilement d’un genre littéraire à un autre ?

J’ai le plaisir – et la chance – de pratiquer deux formes d’écriture : le roman et le théâtre.  Je passe de l’un à l’autre avec bonheur, car ce sont deux énergies, deux techniques, et deux états d’esprits si différents qu’ils s’influencent très peu dans mon esprit. D’ailleurs, mes pièces ont plus de légèreté que mes romans. J’aime entendre le rire du public, et deviner son regard enfantin qui assiste au spectacle et ne demande qu’à se faire emmener par l’histoire. Dans un livre, je vais un peu plus loin dans l’âme. Le roman, c’est la maison-mère d’un auteur. Sa patrie, son repère. J’ai l’impression que mes pièces sont des enfants et mes romans leurs parents.

Comment écrivez-vous – d’un trait, avec des reprises, à la première personne, à la troisième ?

J’écris sans cesse. Même quand je n’ai pas un projet défini. Des textes courts, des chansons, des poésies. Puis vient l’idée, comme un coup de vent soudain sur la plage. Alors je le suis. S’il le faut, je nage. Parfois le sable me ralentit. Parfois je grimpe sur les dunes et je vois loin, soudain. Je ne m’assois pas. J’écris de l’aube au soir. Il ne faut pas lâcher le vent, quand il vous guide. Il faut aimer son souffle qui traverse tout et donne un but à suivre. Cet air soufflé devant le grand large, ce virevoltement soudain d’impressions, voilà comment je ressens ce que l’on appelle l’inspiration. J’écris d’un trait, oui. Comme on boit un alcool pour donner du courage au miracle et à la création.

D’où puisez-vous les sujets de vos livres, et combien de temps est nécessaire pour qu’il prenne vie comme œuvre de fiction ?

J’ai plutôt l’impression que ce sont les sujets de mes livres qui puisent en moi. Ce sont de gros oiseaux qui se mettent à voler en cercle au-dessus des nuages, puis l’un d’eux me fond dessus, comme sur une proie. Et me voici envahi par lui, mais il offre ses ailes, et ses instincts, et son sens de l’orientation. Il me donne du ciel à retordre et des paysages à survoler. Pour cela, le temps n’est jamais très long, parfois trois mois pour un roman, parfois quelques jours pour une pièce. Car on va plus vite et plus loin à vol d’oiseau.

Choisissez-vous d’abord le titre de l’ouvrage avant le développement narratif ? Quel rôle joue pour vous le titre de votre œuvre ?

Le titre d’un livre est un visage et le texte en est le corps. L’ensemble, c’est le roman. Le visage vient en dernier. Parfois de longs jours après. Comme si mon histoire avançait masquée, comme si chaque mot était un nouveau pas sur la route du scénario. Puis, lorsque j’ai terminé, je quitte le corps de l’écriture, et je regarde les choses en face, et elles ont un soudain visage. Si je commençais par avoir un titre, je crois que ce visage sans corps n’irait nulle part.

Quel rapport entretenez-vous avec vos personnages et comment les inventez-vous ?

Les personnages nous inventent, quand nous écrivons. Même les pires d’entre eux ont besoin d’amour. L’auteur est dans chacun d’eux, à plus ou moins forte dose. Faites une addition entre les personnages, les réflexions et les décors d’un roman, ajoutez-y les dialogues, les ellipses et les métaphores, puis pour finir les envolées lyriques et les sous-entendus, vous aurez un portrait assez fidèle de celui qui les a produits. Avec mes personnages, j’entretiens la même relation qu’un enfant avec une poignée de confettis qu’il lance à celle qui se marie.

Parlez-nous de votre dernier ouvrage et de vos projets.

Mon dernier roman s’intitulait « Stella Finzi ». Il est sorti pour la rentrée littéraire 2020. J’ai changé, en l’écrivant. Car j’ai voyagé, en le vivant. Un homme français désabusé rencontrait à Rome une jeune femme laide et argentée, alors qu’il pensait venir se suicider. Elle le sauvait, malgré lui, à grands renfort de surprises, et d’élégances, et d’inventions. C’était aussi un livre sur les mystères et les alchimies de la création littéraire. Le roman à venir – je viens tout juste de l’achever, aura pour titre : « La danse des secrets ». Il sera moins baroque, mais tout aussi mystérieux, je crois. Il se déroulera à Paris, et c’est une jeune femme indienne – du Pendjab – qui en sera l’héroïne, au sein de milieux qui étaient loin d’elles – la presse, le théâtre – et dans lesquels pourtant elle jouera un rôle déterminant. Son histoire mettra au jour un réseau de rencontres et de signes étranges qui nous montreront que l’univers s’amuse comme un enfant avec nos destins, en les dessinant.

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