Portrait en Lettres Capitales : Jacques Houssay

 

Qui êtes-vous, où êtes-vous né, où habitez-vous ?

Je suis un être humain, mon garçon, presque un oiseau pour paraphraser R. Fresán. Ce ne pourrait être qu’une formule mais cette phrase (à l’origine : Nous sommes des êtres humains, mon garçon, presque des oiseaux des héros publics et secrets) tirée de Mantra est devenue une sorte de mantra, justement. Ce « presque » à la fois terrible et jubilatoire. Derrière l’oiseau l’idée de liberté ? Sans doute, mais pas uniquement. Je suis donc ça : un être humain. Ce n’est pas très glorieux, vu ce que notre espèce fait au monde…

Voilà pour les considérations générales. Sinon, pour être un peu plus factuel, je suis né dans les Alpes et je suis retourné y vivre il y a quelques années. Je mesure 1m76 pour 72 kg. J’ai appris à faire du vélo à 4 ans, à 8 ans je me suis porté volontaire auprès des présidents français, russe et américain pour être le premier enfant dans l’espace mais je n’ai reçu aucune réponse. Comment voulez-vous être confiant en l’humanité après ça ?

Vivez-vous du métier d’écrivain ou, sinon, quel métier exercez-vous ?

Qu’appelez-vous vivre ? Gagner de l’argent ? Je ne crois pas que cela soit vivre. Je vis du métier d’écrivain dans le sens où sans possibilité de créer (enfin, d’essayer de créer), il me serait impossible de vivre. Sinon dans le sens « classique », bien sûr que non, je ne « gagne » pas suffisamment d’argent avec le métier d’auteur pour subvenir à mes besoins matériels et à ceux de mes enfants. J’exerce différents métiers en plus de celui d’auteur : Acteur, barman, metteur en scène, libraire, médiateur…

Comment est née votre passion pour la littérature et surtout pour l’écriture ?

Je n’en sais rien. Plusieurs pistes s’offrent à moi. Je suis dysorthographique donc j’ai toujours cherché à contourner, à détourner dans ma scolarité le langage pour ne pas avoir à écrire les mots que je ne savais pas écrire, éviter les remontrances et les zéros. C’est peut-être de là que me vient l’appréhension du langage comme matière.

Autre piste, les jeux de mots stupides de mon père ou cette histoire que j’ai reprise dans mon premier roman Border d’une ligne verte qu’enfant j’ai tracée avec courbes et angles sur un vieux rouleau de caisse, avant même de savoir écrire : lorsque j’ai eu fini, j’ai affirmé que cette ligne était une phrase.

Je pense que dès mes 8 ou 10 ans, j’ai tenté d’écrire de la poésie alors que je n’en lisais pas.

Adolescent, c’est la poésie de Baudelaire et le théâtre qui m’ont distillé ma dose de langage… Et la musique ! Les Doors, Gainsbourg, Bashung, Nick Cave, le Gun Club, Rowland S. Howard, NTM, Captain Beefhart, Public enemy, Brel, Gil Scott Heron, etc.

Il y aurait aussi cette piste : je ne saurais pas faire sans écrire.

Bref, je ne sais pas vraiment.

Quel est l’auteur/le livre qui vous ont marqué le plus dans la vie ?

Impossible de choisir. Ou peut-être ne l’ai-je pas encore lu. Mais j’ai une immense admiration pour les autrices et les auteurs qui s’autorisent tant par le fond que la forme de nouveaux territoires et qui, par conséquent, me libèrent de mes propres limitations, et me donnent d’une certaine façon, le « droit » de faire autrement, ailleurs. Cette galaxie d’autrices et d’auteurs « classiques » ou contemporain.e.s, des personnes proches de mon univers ou non, est très large, Shakespeare, Pizarnik, Artaud, Duras, Beckett, Rimbaud, Adonis, Bessette, Jeannet, Sorrentino, Sembene, Loy, Tsvetaieva, Koltès, Akhmatova… Je vais m’arrêter là tant la liste est longue. J’avais prévenu.

Quel genre littéraire pratiquez-vous (roman, poésie, essai) ? Passez-vous facilement d’un genre littéraire à un autre ?

J’écris des romans, de la poésie (qui ne me satisfait pas du tout) et un peu de théâtre. Ce sont pour moi une seule et même écriture. La poésie se distingue sans doute car la notion de personnage, de figure y est fondamentalement différente.

Je pratique aussi avec des musiciens, des improvisations textuelles qu’il m’est impossible de ranger dans un genre particulier.

Je crois que les genres sont poreux et peu cloisonnés finalement. C’est peut-être mon côté bordélique mais ranger les choses dans des cases ou des genres m’a toujours été difficile.

Comment écrivez-vous – d’un trait, avec des reprises, à la première personne, à la troisième ?

Ça dépend. Généralement j’écris de la première à la dernière ligne sans me relire et sans repartir en arrière. Puis je corrige et recorrige énormément. Ce premier jet est une sorte de matière brute que je viens sculpter par la suite, le plus généralement en enlevant de la matière. Je peux écrire à la première, deuxième ou troisième personne. Ce choix est pour moi cinématographique, c’est une question de « cadrage ». Pour le théâtre, je passe généralement par une première phase d’écriture de plateau.

Il faudrait ajouter que lorsqu’un texte est en travail, je ne cesse jamais d’écrire d’une certaine façon, il y a en permanence un « moteur » qui tourne en mon esprit et qui cherche à nourrir le texte, en attendant le bus, en marchant, en buvant un café, en faisant mes courses au supermarché, en faisant la vaisselle, j’écris. L’écriture n’est pas cantonnée au temps devant la page blanche ou devant son clavier. Ça déborde. Ça exagère.

D’où puisez-vous les sujets de vos livres, et combien de temps est nécessaire pour qu’il prenne vie comme œuvre de fiction ?

Peut-être est-ce l’inverse, aussi curieux que cela puisse sembler. Les sujets puisent peut-être en moi pour devenir des livres. Je ne sais pas vraiment.

À un moment donné un sujet, un personnage, une question s’impose et ne peut être « résolu » que par l’écriture. Souvent c’est une question qui est à l’origine d’un texte. Le texte n’étant pas là pour y répondre mais pour essayer de la poser dans toute sa profondeur, dans toutes ses ramifications, et dans les échos que cette question provoque en nos peurs, nos tendresses. Je ne suis pas très intelligent comme garçon alors il me faut souvent l’aide de personnages pour poser cette question « comme il faut » à travers une histoire.

La plupart de mes textes mettent plusieurs années à advenir. J’ai besoin de pouvoir les oublier avant de les corriger à nouveau, de les sculpter, de les réduire, de les réécrire. Pour ce qui est de mes deux romans la forme « finale » est la 12e ou 15e version du roman.

C’est peut-être pour cela que j’aime autant le travail improvisé avec les musiciens de Lapsus de luxe, le besoin d’immédiateté, de correction impossible. Je suis heureux que dans ce collectif le texte soit un instrument comme un autre, qui improvise comme les autres.

Choisissez-vous d’abord le titre de l’ouvrage avant le développement narratif ? Quel rôle joue pour vous le titre de votre œuvre ?

Il n’y a pas de règle. Mais le titre sert souvent de lien intertextuel avec les autres textes. Souvent (mais pas toujours), le titre d’un texte est une phrase d’un autre de mes textes, il est parfois emprunté à un autre auteur ou une autre autrice.

L’idée ici n’est pas de faire référence pour faire référence mais de créer une sorte de « caisse de résonance ». Une fois encore les choses, les œuvres sont poreuses. Un titre est une porte pour moi, un seuil, la destination inscrite sur notre ticket d’auteur ou de lecteur, on ne sait pas quel chemin on va emprunter, on ne sait même pas à quoi elle ressemble cette destination, mais c’est là-bas qu’on va, ou en tout cas qu’on essaye de se rendre.

Quel rapport entretenez-vous avec vos personnages et comment les inventez-vous ?

Je viens du théâtre, comme acteur, je pense que ma relation aux personnages vient de là. J’essaye de me « prêter » au personnage. Bien souvent mes textes trouvent leur structure, leur voix lorsque j’ai trouvé le ou les personnages qui sont souvent les narrateurs dans mes histoires (j’ai presque envie de dire lorsque le personnage m’a trouvé, comme si c’était lui qui me cherchait). Une fois qu’il m’a trouvé et que sa voix parle à travers moi, il me « suffit » de le suivre, de l’écouter. Bien souvent ce que le personnage me fait écrire ne m’est pas « agréable », je n’ai pas envie d’écrire ça, comme ça, mais c’est lui, elle, qui décide.

Je ne crois pas vraiment les « inventer ». Je crois que j’essaye de les traduire. De faire entendre leur voix, leurs vies, leurs abîmes, leurs joies, avec mes pauvres moyens, mes pauvres mots, les échos que cela provoque avec mon propre vécu, mes propres souvenirs ou ceux de mes proches, d’autres personnages… J’essaye de traduire ce qui les habite, cette vie en eux.

Parlez-nous de votre dernier ouvrage et de vos projets.

Mon dernier ouvrage est à paraître au mois d’octobre. C’est un roman qui s’intitule Cette tendresse qu’on attend dans la nuit, le titre étant emprunté à un roman de Mathias Énard, Boussole. C’est un livre que j’ai voulu en équilibre entre ombre et lumière. Les premiers retours de lectures sont à ce propos très contradictoires, certains perçoivent l’histoire comme fondamentalement noire, le récit d’une chute, et d’autres comme lumineuse et essentiellement ascensionnelle. Cela dépend sans doute d’où on regarde. C’est l’histoire d’une trajectoire, d’une amitié absolue, d’une tentative d’agir, de vivre. C’est l’histoire de la tendresse qui suinte par toutes les failles de la vie même s’il est difficile de croire en la tendresse en notre monde.

Mes projets ?

Un récit qui tresse fiction et autofiction.

Une proposition pour la revue Gibraltar.

Un spectacle de théâtre, Random solitude, qui se jouera à Bonlieu Scène Nationale à Annecy en novembre.

Des chroniques autour des livres pour la webradio K.J.B.

Des médiations autours du livre et de la lecture auprès de jeunes déscolarisés.

Des concert-performances avec les Lapsus de luxe (avis aux programmateurs, programmatrices).

Aimer.

Programmer des concerts, des soirées littéraires, des événements dans le bar que je viens d’ouvrir avec un collectif à Annecy (Les Steppes).

Une société plus équitable, plus juste.

Écouter de la musique très fort et danser n’importe comment.

Être un pas trop mauvais père.

La mort du libéralisme.

Être libre.

On dirait une putain de liste pour le Père Noël. J’avais prévenu que j’étais bordélique…

(Crédits photo de l’auteur : Fanchon Bilbille)

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